Ma chère Maman
Hier j’ai interompu ma lettre un peu brusquement pour aller diner. Nous étions invités Gilbert [Leenhardt] et moi chez [Ange] Le Hégarat. Gilbert aime beaucoup Le Hégarat parcequ’il le trouve très « nature ». C’est assez pittoresque les installations dans un village abandonné : autour de la même table un convive est assis sur une caisse, tandis que l’autre un fauteil du plus pur Louis XV.
Les permissions ont repris serieusement. Je ne desespère pas de partir un de ces jours. J’ai la conviction de vous trouver à Cette maintenant et j’aime autant ; j’ai fait assez de plein air comme ça.
Source : coll. La contemporaine |
Nous avons eu de belles heures parfois une de mes impressions les meilleures est celle d’une nuit à la belle étoile un soir d’avance dans le lit desséché d’un ruisseau, au milieu d’un buisson de menthe. Ça changeait agreablement de la puanteur des caves et abris : une silence comme si ce n’était pas la guerre, un ciel étoilé et bienveillant, de beaux arbres. Je me sentais une grande amitié pour la création. La guerre ne nous reserve pas beaucoup de ces moments-là. Le lendemain je dégageais un parfum pénétrant de menthe, au lieu de sentir le fauve et le chien mouillé.
Notre colonel [Adrien Perret] est devenu un grand homme. Il a surtout la chance d’avoir un bien chic régiment. Nous allons avoir la fourragère. Les chasseurs ont quitté la Division. Je le regrette parceque ça me separe de [Frank] Suan. Ils sont remplaces par un regiment de tirailleurs. On nous a bien recommandé de ne pas appeler ces derniers « bicots ». C’est la suprême injure.
Je ne suis pas peiné de voir les H. [Herrmann] s’établir à Paris. J’en suis heureux pour A. [Alice] qui sera dans un milieu que j’aime. Et puis si la situation présente s’éternise, il me sera bien plus facile de la voir à Paris qu’à Montpellier.