jeudi 13 septembre 2018

Arvillers, 13 septembre 1918 – Jean à sa mère

13-9-18

Ma chère Maman

Je ne sais où t’écrire. Je pense que cette lettre aura plus de chance de te trouver à Cette. J’ai été bien laconique ces jours-ci. Que de choses à vous dire. D’abord nous sommes au repos. Au repos dans une région qui était encore boche il y a deux mois, et qui est très loin des lignes maintenant. Mais c’est un repos un peu triste, dans une région dévastée et vidée. Pas de civils ; nous voisinons avec nos morts d’il y a un mois.

La Division a eu une belle tache. Elle a progressé de 52 kilomètres sans etre relevée. Il parait que depuis le debut de la guerre c’est un record. Le régiment s’est taillé de beaucoup la plus belle part. Chaque fois que la Division était arrétée, c’est le regiment qui bousculait de nouveau. Le 132 a fait à lui seul 580 prisonniers, pris 112 mitrailleuses, 19 minenwerper, et un canon. Il y a des pages plus dures et plus méritoires, mais jamais plus brillantes.

Je crois que réellement nous n’avons jamais été autant en forme. Toutes les compagnies étaient commandées par des types jeunes, courageux, aimés des poilus, et je crois que jamais on a eu autant d’allant que cette fois. Aussi nous avons une cote formidable. Le colonel [Adrien Perret] a obtenu toutes les recompenses qu’il a voulu.

Tu vois d’ici ce que peut être le moral avec le succès, les recompenses et les permissions. Il n’a jamais été pareil.

Ce qui defrise pourtant un peu les types c’est ce piètre repos. Ns avons cantonné ds les anciennes premières lignes, au milieu des tombes et des trous de torpilles, ds des caves humides sous des maisons effondrées.

Maintenant ns habitons un village qui a conservé forme de village, mais le poilu aime à voir autre chose que des poilus, et ici pas un civil.

Source : coll. La contemporaine

Moi j’ai mon compte ; Gilbert [Leenhardt] cantonne ici et je le vois tout le temps. Je te quitte pour diner avec lui à la C.M.2 [2ème compagnie de mitrailleurs].

Je finis ma lettre avec mon masque sur le nez les boches venant de lancer quelques obus d’un gaz d’ailleurs assez inofensif. Le nouveau masque est d’ailleurs assez commode pour nous permettre de continuer notre correspondance où de lire des romans.

Tendresses
Jean

Ma permission ??