Ma chère Maman
J’ai eu bien tord de t’alarmer sans raison pour une malheureuse phrase du colonel [Adrien Perret]. Je ne me rappelais pas que je t’avais raconté ça, j’aurais pu te rassurer depuis plusieurs jours.
Avant de rejoindre ma compagnie je suis allé me presenter au colonel, qui m’a exposé son grief et m’a dit qu’il poserait la question de confiance au colonel Hamelin. J’ai dès lors pris les devants moi-même et expliqué au capitaine [René] Recopé de Tilly qu’il me rendait un mauvais service en m’appelant à l’I.D. Il m’a répondu qu’il m’appelait maintenant que je n’avais pas de fonctions spéciales, que lorsque je serais téléphoniste – si je dois l’être – on ne toucherait plus à moi. J’expliquerai ça au colonel à la première occasion.
D’ailleurs, c’est bien pour toi que j’accepte cette perspective ; depuis que je suis à la 6me je n’ai aucune envie d’en partir. Je m’attache de plus en plus à mes poilus, et cette tendresse que j’ai pour eux donne tout de suite de la couleur à ma vie. Je sors de mon abrutissement. Ils sont épatants. Un exemple. Cette après-midi nous suivions une piste [Marcel] Simonin, Vauthier et moi, l’ordonnance de Vauthier marchait à 100 mètres derrière nous avec tout son « barda » sur le dos. Un obus tombe à coté de lui, nous nous retournons ; voyant qu’il continue à marcher et croyant qu’il n’a rien nous quittons le coin malsain toujours suivis par lui. Au poste de commandement 10 minutes après il nous rejoint et nous nous appercevons qu’il a la figure couverte de sang ; nous lui demandons pourquoi il ne nous a pas avertis plus tôt ; il nous repond avec un bon sourire « Oh, c’était pas la peine ». Il n’avait pas grand-chose, mais une placidité pareille est vraiment déconcertante.
Je ne comprends pas très bien ce qui t’a faché avec oncle Axel [Busck, beau-frère de Mathilde, mari de sa sœur Fanny]. Raconte-moi ça. Donne-moi des nouvelles d’Alain [Leenhardt].