mercredi 30 août 2017

Sète, 30 août 1917 – Mathilde à son fils

Cette le 30/8 1917
            Mon grand chéri 

            Comme je voudrais pouvoir t’associer plus vite à notre grand bonheur par un télégramme mais impossible n’est-ce pas ?
            Suzie ns a donné ce matin à cinq heures un superbe garçon, un énorme Pierrot[1].
            A 3 h Hugo est venu m’éveiller en me disant de me lever bien vite si je voulais voir le petit. Il est allé en courant chercher garde et docteur et comme ta brave sœur est une vaillante et que les souffrances paraissaient s’accélérer très violentes j’ai envoyé les deux bonnes à la rescousse chercher le docteur et suis restée seule un peu affolée.
            Hugo a été fort heureusement vite là, le docteur sitôt après ; le travail préliminaire avait eu lieu tous ces jours ci car cela a été très violent mais à 5 h ¼, deux heures après notre Pierrot reposait tout blanc et rose dans son berceau.
            Comme Suzie disait au docteur C’est une grosse fille n’est-ce pas ? Et qui vous dit que ce n’est pas un garçon Madame lui fut-il répondu ? Hugo a eu la joie calme qui sied, pense-t-il à un caractère fort mais heureux en contemplation devant son fils à qui il a déjà offert une cigarette. C’est un bébé du Nord rien qui rappelle Elna ; il est tout rose avec un duvet très blond sur le crâne. Il a des mains des pieds énormes et un rable phénoménal ; une voix de garçon. On dirait un beau bébé de trois mois.
            Ce matin le réveil de Na a été intéressant : elle a surtout été frappée par les bonbons que Pierrot lui a apportés. Mais cependant sa surprise a été grande. Elle a une pointe de jalousie qui s’effacera et il faut une grande surveillance car elle monte sur une chaise pr le voir de plus près et enfoncerait volontiers son petit doigt dans les yeux pr savoir ce qu’il y a derrière.
            Suzie repose très calme. Le docteur a été epatant quelle différence avec l’autre[2]. En me quittant il m’a dit : Votre fille est la femme forte de l’Evangile. Le fait est qu’elle a été épatante et a présidé à tout jusqu’à ce que terrassée par la souffrance elle a été mise sur le lit d’opération.
            Bébé et sa maman sont en bonne voie ; le docteur assure que tout va marcher sur des roulettes. Dieu est bon. Un sujet de plus de lui rendre grâce.
            Tu auras chaque jour de leurs nouvelles jusqu’à ce que tu viennes faire la connaissance de ton neveu.
            Gros et tendres baisers de ta maman. Suzie t’envoie aussi force tendresses.

[1] Pierre Ekelund (1917-2010).
[2] Mal soignée après l’accouchement d’Elna deux ans auparavant, Suzanne Ekelund a  été très gravement malade d’une fièvre puerpérale.