mercredi 4 mai 2016

Saverdun, 4 mai 1916 – Mathilde à son fils

Saverdun[1] le 4 Mai 1916 

            Journée de reconnaissance et de joie ! L’heureux courrier tes cartes du 26, 30 et ta lettre du 28. Merci. Merci aussi pr cette petite fleur de tranchée qui a fleuri malgré tous, tous  ces gens, cueillie par toi elle est bien bien chère et précieuse, elle a peut-être été arrosée du sang de nos pauvres martyrs !
            Bonne lettre de Suzie. A tous deux un mot seulement, je ne puis faire plus. Mon ménage, mes enfants, la cuisine. Je ne sais où me tourner. Lilou est perdu sans sa maman et s’accroche à mes pas, se suspend à ma robe et je suis immobilisée ! Il a de bons grands yeux bleus, je crois tout à fait ceux de son papa (à part cela, il est Bergis. Une grosse grosse tête aux cheveux blonds. Elle disproportionne un peu ce petit corps d’enfant mais cela s’arrangera plus tard et sera très joli. Il est bien brave, facile, une autre paire de manches que mon filleul ! Je suis en tête à tête avec lui tout le jour et il ne peut me donner la réplique ne parlant pas du tout. Je tâche d’intéresser Lucienne pr qui les journées sont longues, longues sans sortir car il fait un temps affreux. Suzanne sera là un peu, demain soir.
            Ah ! non par exemple ! tu n’espaceras pas tes lettres, tu ne peux pas, même en te le figurant, savoir ce que j’endure surtout dans cette solitude, ne connaissant ici âme qui vive à qui dire mes angoisses. Et tu es en première ligne ? jusqu’à quand ? Dis-moi si tu es bcoup plus exposé ? Ce revoir sera donc si lointain que ça ? mais alors n’est pas une règle générale pr tous les soldats. ? Pourquoi Lucien [Benoît] est il si privilégié ? Ne peux-tu rien ? Ne pouvons nous rien pour hâter ce moment ? Tu as bien raison il n’y aura pas de  revoir sans mélange ! Mais tout de même !!! comme j’attends ce jour !
            Dis moi prquoi il ne faut pas dormir en 1ère ligne ? est-ce très prês des Boches ! Ne restes tu là que dix heures et puis combien d’heures de repos ? Comme je tremble. Je vais vite faire goûter Lilou il pleure et je ne puis t’écrire.
            Des tendresses tout plein de ta mère
            Ci-joint la lettre de Suzie reçue ce matin. Pauvre Rudy, il l’a échappé belle. Ne peux tu me faire faire une bague souvenir en aluminium par un de tes soldats ? j’aspirerais en avoir une.

[1] Mathilde vient donc d’arriver chez sa belle-sœur Suzanne Bergis, l’épouse de son frère le pasteur Georges Benoît, alors aumônier militaire dans un secteur proche de celui de Jean. Georges et Suzanne avaient quatre enfants : Lucienne, 10 ans ; Henri, 3 ans, Léon (dit Lilou) et Marthe, 2 ans.