samedi 21 mai 2016

Front de Champagne, en 1ère ligne, 21 mai 1916 – Jean à sa mère

21-5-16
            Maman chérie  

            Nos heures s’ecoulent très doucement. C’est je crois le sejour le plus agreable que nous ayons fait aux tranchées.
            Ce qu’il y a de bien c’est que ns sommes pour le moment dans un secteur boisé, defilé, et qu’on est pas obligé de passer sa vie entre les parois de la tranchée. Nous sommes on ne peut plus tranquilles depuis l’alerte aux gazs de l’autre jour. Cette fois, nous en avons été quittes pour un peu d’emotion, une bonne suée sous nos masques. Nous y avons gagné l’experience des gazs, une confiance très grande ds nos masques.
            Ces masques ! Il fallait être tout le temps sur le dos des poilus pour qu’ils ne s’en separent pas autrefois. Je t’assure que maintenant ils ne l’oublient jamais. Nous n’avons eu aucune perte, c’est dire que l’experience ne nous a pas couté cher. Mais c’était assez impressionnant au milieu du vacarme étourdissant de l’artillerie de voir le feu d’artifice de fusées multicolores et de feux, et surtout une nuée sombre s’avancer, noyer tout, voiler la lune et nous envelopper.
            J’avoue que tant que je n’étais pas sur que l’attaque ne se déclancherait pas sur front de notre regiment, je scrutai avec anxiété l’obscurité de la nappe.
            Les poilus ont été épatants, tranquilles, braves. Il est vrai que nous n’avons pas reçu un seul obus dans notre coin, ce qui est appréciable.
            Je couche actuellement ds le bureau de la Cie avec l’adjudant, le sgt major, le fourrier ; je prends aussi mes repas avec eux, et ils ne se soignent pas mal.

             Ce matin j'ai assisté à la messe en plein air, sous le grand soleil.
Source : BDIC
            Voix trainantes, têtes baissées, figures lugubres, litanies. J’en souffrais. C’est tellement recroquevillé. Le christianisme est de lumière, de grand air, de tête haute, de voix claire, de regard droit.
            On ramasse les lettres. Je t’embrasse tendrement. 

Jean