24/12/17
Maman chérie
Voilà deux jours que je te laisse
sans lettres. J’ai eu le tord d’attendre presque l’heure du courrier pour
t’adresser un mot ; et c’était trop tard.
Avant-hier, à la dernière bouchée
nous sommes partis en auto le colonel [Maurel] et moi pour une partie du
secteur que je ne connaissais pas. Nous étions partis par un soleil radieux,
mais nous sommes rentrés très vite dans la zone des nuages, de gros nuages,
d’un bleu noir, très menaçants. Là dedans il faisait un froid de canard. En
arrivant au col on avait même l’impression d’être dans un element different
tellement les sensations et les spectacles sont differents des sensations et
des spectacles de la vie des + basses sphères.
Les barraques à moitié ensevelies
sous la neige,
des hommes aux gestes lents qui n’ont plus de vivant que les yeux,
tellement ils sont emmitouflés,
des arbres rabougris couverts de givre qui
ressemblent à d’incroyables plantes marines,
des deux cotes de la route une
muraille de neige,
des chiens de l’Alaska, des traineaux
Tout ça extremement
vaporeux, à travers le froid et surtout à travers une brume sale et epaisse.
Source : collections BDIC |
Source : collections BDIC |
Source : collections BDIC |
Source : collections BDIC |
Source : collections BDIC |
En descendant sur l’autre versant le
paysage devenait au contraire extremement varié et beau. Sapins saupoudrés de
neige, cascades aux trois quarts figées par le froid, lac mort, gelé et
recouvert d’une epaisse couche de neige, gorges, etc.
Cette promenade n’a été interrompue
que par l’arrivée en première ligne. Tu dois te demander ce que deviennent les
poilus, dans ce royaume du froid. Par là ils ne sont pas trop malheureux au
repos. Ils ont des abris bien fermés et qu’ils peuvent chauffer, quand ils
guettent ils peuvent faire les cent pas ; les raffinés se parent même
d’une petite chaufferette. Et puis le secteur est tellement calme, il tombe si
peu d’obus que malgré le froid et la fatigue cette vie est presque un
delassement pour eux.
Hier matin culte[1] un peu froid
d’Henri Monnier.
Après dejeuner je suis allé à [mot illisi K [Kruth][2],
en velo voir à l’hopital un protegé de Mme Scheurer [Marie Anne
Dollfus, épouse Scheurer] qu’elle m’avait recommandé. Le garçon va bien et se
tirera de ses oreillons avec une convalescence de 10 jours comme bénéfice.
Source : collection Stamm-Binder © Sur le site Wesserling, mémoires familiales Stamm, Binder, la photo est titrée "Devant la chapelle du parc". La légende indique qu'elle date de juillet 1918 et que l'homme à l'extrême-droite est M. Monnier. (Légende complète visible ici) |
J’ai poussé jusqu’au 132 où j’ai
serré la main à quelques camarades qui descendent au repos, j’ai même assisté
au debut d’un arbre de Noël, et j’ai chanté « Mon beau sapin ». Que
c’est bon cette odeur de sapin ! Elle va probablement flotter dans la
maison cette odeur ce soir, et les gosses seront très contents.
Tendrement à vous
Jean
[1] Rappel : le service religieux protestant était célébré dans la chapelle du parc de Wesserling.
[2] Bien que le mot soit noirci, on sait qu’il s’agit de Kruth, Jean mentionnant dans le paragraphe suivant qu’il en profite pour aller voir ses camarades du 132. Or c’est là qu’était cantonné le régiment d’attache de Jean.
[2] Bien que le mot soit noirci, on sait qu’il s’agit de Kruth, Jean mentionnant dans le paragraphe suivant qu’il en profite pour aller voir ses camarades du 132. Or c’est là qu’était cantonné le régiment d’attache de Jean.