28/6/1917
Maman chérie
Periode tout à fait interessante.
Une nouvelle etape nous a mené il y a 3 jours dans la vallée [vallée de la
Thur] où nous allons rester quelque temps en reserve
Je comprends l’enthousiasme de [Albert]
Léo pour ce pays. Comme tu en jouirais, maman, toi qui aimes tant l’altitude,
la fraicheur, les sapins, les fougères, l’odeur de foin coupé etc. Ce qui pour
moi vaut mieux que le pays ce sont les amis qu’on y rencontre.
Source : collections BDIC |
Avant-hier [le 26 juin, donc] après
un itineraire de guide Joanne – inoubliable malgré la pluie – nous sommes
tombés dans un delicieux patelin [Odern Felleringen]. J’installe mes hommes
puis je m’installe : ma chambre est dans une maison bourgeoise :
grande affabilité, même pas trace d’accent du pays, bibliothèque pour une
culture très serieuse et très française.
Tout à coup un grand diable me saute
dessus : « le vieux coco, ce vieux Médard, et comment ça va, et
comment es-tu ici ». C’était Maurice Roth, un de mes amis de faculté de
Paris. Il dirige le Foyer du soldat du patelin. Type très gentil, très
expensif, un peu superficiel, mais je l’aime bien
Nous avons parlé une bonne partie de
la journée ensemble. Le soir il a fait à mes poilus une séance de cinema. Tout
le monde était content.
Hier [27 juin 1917], nous sommes
partis de bonne heure pour un autre patelin [Moosch].
Source : JMO du 132ème
R.I. - 27 juin 1917 |
La famille : Monsieur [Jules Scheurer],
Madame [Marie Anne Dollfus, ép. Scheurer], Mademoiselle [Antoinette Scheurer
(1900-2003)]. Deux fils [Pierre Scheurer et Daniel Scheurer] ont été tués à la
guerre, comme officiers français, l’un [Pierre] très près de la maison
paternelle, une fille a été tuée dans le jardin même de la maison, par un obus,
à côté de sa sœur[1]. Ils
restent souriants, en train, des âmes héroïques. Ils se donnent tout
simplement. Le sacrifice et la souffrance font partie de leur vie sans qu’ils
se croient obligés de prendre une tête spéciale. De la terrasse on voit un morceau
du front, à 5 kil de là. La maison d’ailleurs n’est pas touchée, le village
presque intact, et à côté l’usine marche je crois.
Au retour j’ai vu sur mon passage
Albert Dartigue, professeur à la faculté de Genève, qui dirige un foyer du
voisinage. C’est un type épatant.
Je vais voir aussi Henri et Jean
Monnier qui sont mes voisins, mais sont en permission l’un et l’autre pour le
moment.
Je suis toujours chef de section à
la 11ème. C’est une veine puisque ma Cie est restée en
reserve dans la vallée alors que beaucoup d’autres sont ds des camps plus en
avant.
Je t’embrasse tendrement.
Jean
Source : JMO du 132ème R.I. - 28 juin 1917 |
[1] Dans une lettre ultérieure, Jean écrira à sa mère qu’il a fait erreur en mentionnant qu’une fille des Scheurer avait été tuée par un obus dans leur jardin. Ce drame a effectivement eu lieu, mais dans une autre famille de la vallée.