mardi 27 juin 2017

Fin juin 1917 – Près de Wesserling

Source : collections BDIC
       Nous cantonnons dans la vallée de la Thür et d’abord près de Wesserling, le berceau[1] de la famille Leenhardt. Un de mes trisaïeuls [André Chrétien Leenhardt (1744-1813)], à la fin de l’ancien régime, a dirigé là une usine où l’on fabriquait de la toile imprimée. C’est un charmant séjour.  
J’y retrouve mes deux professeurs Jean et Henri Monnier. Ce sont des hommes avec lesquels je ne me sens jamais tout à fait à mon aise, mais que j’estime et que j’aime. Jean est extrêmement original, bizarre dans sa manière d’être, accompagnant ses paroles de gestes qui sont toute une mimique. Henri, à la fois caustique et terriblement complimenteur, dont je ne sais jamais s’il se fiche de moi ou s’il exagère naïvement les qualités qu’il me prête, mais l’un et l’autre savants, cultivés, sérieux, surs.
Je fais la connaissance d’Albert Dartigue, qui deviendra pour moi un ami et du duc de Trévise[2], l’un et l’autre directeurs de foyers du soldat, des Jules Scheurer, qui me reçoivent avec la plus grande gentillesse et chez qui je me sentirai en parfaite confiance. Ils ont toujours été ardemment français. Ils ont perdu leurs deux fils à la guerre [Daniel et Pierre], mais l’on trouve toujours chez eux une hospitalité souriante. Lui, frère du Scheurer Koestner [Auguste Scheurer-Kestner] de l’affaire Dreyfus[3], industriel à Bitschwiller, est la personnalité civile la plus marquante de la vallée. 

Mémoires de Jean Médard, 1970 (3ème partie : La guerre)

[1] Il est inexact de dire que Wesserling est le « berceau » de la famille Leenhardt. André-Chrétien Leenhardt (1744-1813), l’ancêtre de la branche française des Leenhardt, y a simplement vécu quelques années avant de faire souche à Montpellier. Il était né à Francfort-sur-le-Main.
[2] Titre créé en 1808 par Napoléon pour le maréchal Mortier. Edouard Mortier, duc de Trévise (1883-1946), que Jean rencontre en Alsace à l’été 1917, était le 5ème porteur du titre.
[3] Auguste Scheurer-Kestner (1833-1899), industriel et homme politique (député, puis sénateur et vice-président du Sénat). C’est à lui que Louis Leblois, ami et avocat du colonel Picquart (officier du 2ème bureau, premier convaincu de l’innocence de Dreyfus) choisit de communiquer les preuves réunies par Picquart. Peu à peu, se constitue un groupe qui va défendre l’innocence de Dreyfus.