dimanche 1 mars 2015

Avignon, 1er mars 1915 – Jean à sa mère

Avignon 1er Mars 1915
            Ma chère Maman 

            J’ai un chagrin. Figure toi que les meilleurs hommes de ma compagnie les jeunes bien entendu forment une compagnie de marche et que je ne suis pas avec eux. Je t’avoue que j’ai fait l’impossible pour être leur chef de section. Il n’y a rien à faire. Je ne partirai que lorsque le ministre de la guerre me désignera nominativement.
            On forme un bataillon de marine avec 3/5 de bleus il ne quitterons Avignon que le 10 et ne rentrerons en campagne qu’en Avril. Il ne s’agit plus pour moi de partir vite, ce que je desirais jusqu’à ces jours-ci, il s’agit de partir avec des hommes que je connais que j’ai un peu formés moi-même et avec qui nous aurions fait un bon travail. On prenait 12 [?] bleus par compagnie.
            Samedi sur les rangs j’ai demandé les volontaires et une quarantaine se sont présentés tandis que dans d’autres compagnies ils n’étaient que 3 volontaires. Pendant que je faisais une longue marche avec le reste de la compagnie – avec visite d’un general etc. On les a habillé en gris bleu. Tu parles qu’ils étaient fiers. Eux qui n’avaient encore jamais eu de képi à eux et qui étaient très humiliés jusqu’à hier de sortir en bonnet de police.
            Le soir, reflexion faite, je suis allé trouver le capitaine Bonard pour lui exposer mon desir. Il l’a approuvé parfaitement, mais comme c’était pressé et qu’il devait passer à Marseille la journée du lendemain il m’a adressé au capitaine Argaud, un protestant avec qui j’avais même diné chez les Autrand. Le lendemain Dimanche je vais trouver le capitaine Argaud. Lui, ne m’approuvait pas mais était très heureux de faire cette demande pour moi auprès du Colonel. Le Colonel lui a repondu qu’il ne pouvait pas disposer de nous que le ministre seul en disposait. Le Cne Argaud m’a dit ensuite être bien content que sa demarche n’ait pas abouti. Il ne faut pas bouger, suivre son sort, ne faire aucune demarche dans aucun sens pour ne pas avoir de regrets ensuite. Je n’ai rien repondu mais ce langage me revolte. C’est du fatalisme anti-chrétien. Quand une ligne de conduite parait meilleure qu’une autre, il faut s’y tenir. Ns ne sommes pas des machines pour nous laisser mener par les evenements mais des hommes pour incliner autant que possible les evenements selon notre desir bon.
            Hier j’ai été plein de tout cela, plein de souvenirs de congres aussi ! C’était le jour universel de prière de la Fédération, et l’anniversaire du congres de Lyon.
            Au temple, Mme King m’a invité à venir diner chez elle ; j’y étais assez à mon aise. Il y avait outre la famille deux anglais et un cousin caporal au 7ème génie qui venait d’être nommé aspirant. J’y suis resté jusqu’à 4 h 1/2. J’avais rendez-vous au temple avec quelques soldats. Je ne les ai pas trouvé, mais j’ai trouvé Mr de Jarnac, neuveu de Doumergue, qui suit en traitement à St Didier pr maladie nerveuse.
            C’est un fervent de la Federation et ns avons parlé d’elle jusqu’au départ de son train en ns promenant.
            Le soir j’ai dine chez Mme Alric l’amie de P. Benoit. Interieur très luxueux, service impecable, reception charmante. C’est une femme de 45 (?) ans à peu près, très spirituelle et gaie, Son mari est + effacé. 2 enfants. Des invités parmi lesquels un soldat de génie ancien cagneux de Louis-le-Grand.
            Je t’embrasse Maman cherie, en te remerciant de ta bonne lettre. Ma dernière a du mettre longtemps à t’arriver. Je vs embrasse. Léo est sur le front infirmier. Je suis le seul ds les depots. Honte à moi.

J. Médard