Pont St Esprit 22 Octobre 1914
Ma chère Maman
J’ai reçu ta bonne lettre hier. Merci beaucoup.
C’est tellement heureux de pouvoir s’écrire ainsi et avoir des nouvelles
presque de chaque jour ; je jouis beaucoup de tout cela ces temps-ci à la pensée que bientôt j’en serai sevré.
Demain deuxième piqure. J’espère qu’elle ne me fera
pas souffrir plus que la première. La troisième dans une semaine je pense. Le
départ est officiellement fixé par le Ministre pour la classe 14 vers le 10
novembre.
D’ici là d’ailleurs il y aura un peu de nouveau ds
ma vie monotone. Le gouvernement va nous payer à 12 de nos camarades et à moi
un petit voyage à Marseille. Eh oui ! C’est pour l’examen d’élève officier
de réserve.
Presque tous des dispensés désiraient le présenter,
soit une cinquantaine. Il n’était pas possible de nous envoyer tous à Marseille
étant donné qu’il n’y a que 6 places par régiment. On a donc commencé par ns
faire faire un petit examen préparatoire ici pour selectionner. On ns a donné
une composition franco-historique à faire (Causes de la guerre actuelle ;
situation politique des differentes puissances ; le tout à traiter ds une
heure et demi). Je m’en suis tiré bon premier avec 19/20. Tu vois que ce sont
des notes qui n’ont rien d’universitaire. Ensuite il s’agissait de prendre le
commandement d’une section devant les commandants. Comme je ne m’étais jamais
fait remarquer jusque là et qu’on ne m’avait jamais fait commander, j’ai été
assez vaseux, pas assez cependant pour perdre ma place de premier.
Enfin, hier à 8 heures, le Colonel est venu de
Privas pour donner son appréciation. Ds 3 ou 4 jours je partirai donc pour
Marseille. D’ailleurs j’en serai quitte pour le voyage n’ayant aucune qualité
militaire. Ici on ne nous a pas fait preparer du tout l’examen tandis que ds
certaines autres villes les dispensés ne font que ça. Je pense que les
dispensés du 55è reviendront bredouille. C’est du moins ce que nous
a fait esperer le colonel.
Si par un hasard extraordinaire j’étais reçu, je
pense que je ne resterais pas à Pont-St-Esprit. Mais quelle que soit ma
nouvelle résidence, je n’y moisirai pas longtemps. Je partirai de toute façon
le 10 comme les autres et comme les autres simples soldats, c’est là bas que je
pourrais avoir + vite du galon (Marcel Péridier qui a passé l’examen final
est encore sergent – Gueuillet a reçu de ses nouvelles).
Rien de plus à te dire. Je pense bien à toi à tes
fatigues et à tes souffrances, et j’embrasse avec effusion tous mes chers
Cettois.
Jean
J’ai été très peiné par la mort de
Roger Castelnau. Je l’avais apprise par « Evangile et Liberté ». Quel
bonheur si Robert Leenhardt n’est que prisonnier. Donne moi toutes les
nouvelles que tu sais sur ceux qui sont à la guerre.